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Champagne Pourquoi un prix si élevé ?

Personne ne s’étonne que le champagne soit onéreux. Mais que cache en réalité son prix ? Question simple, réponse délicate.

Ce qui est rare est cher, mais ce qui est cher n’est pas forcément rare. En ce moment, les caves de Champagne abritent 1,45 milliard de bouteilles, soit près de cinq ans de consommation mondiale. Une grande partie de ce stock s’explique par le mode d’élaboration du vin, qui impose de garder les bouteilles en cave quinze mois, voire trois ans pour les champagnes millésimés. Le niveau des réserves, néanmoins, est historiquement élevé, alors que les ventes plafonnent. L’an­ dernier, 307 millions de bouteilles ont ainsi été consommées dans le monde (dont un peu plus de la moitié dans l’Hexagone), très loin du record d’avant-crise établi en 2007 à 338 millions de « cols ».

En théorie, quand les stocks augmentent et que la demande stagne, les prix baissent. Pas dans le petit vignoble de Champagne (1). Celui-ci est remarquablement soudé malgré son émiettement (voir encadré). Le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC), organisme semi-public, parle au nom de toute la filière, du récoltant au négociant distributeur en passant par les maisons de champagne et les coopératives. Le Syndicat général des vignerons (SGV), quant à lui, représente quasiment 100 % des producteurs. Ensemble, ils visent un prix d’entrée de la bouteille en grande distribution proche de 20 €. Les centrales d’achat et les sites de vente en ligne font régulièrement pression afin d’obtenir des lots moins chers, avec un certain succès. Notre sélection 2015 démarre avec un Maison Laffitte brut Comte de Lavigny à 16,73 € chez Casino.

À ce niveau, chacun comprime ses marges au maximum. Pour élaborer une bouteille de 75 cl, il faut en effet 1,2 kg de raisin. Or, le raisin champenois est le plus cher du monde. Le prix de gros varie entre 5,30 €/kg et 6 €/kg, soit jusqu’à 7,20 € de matière première, sans compter la bouteille, l’étiquette, la collerette et le travail de vinification ! Le raisin de Bordeaux ou de Bourgogne est cinq fois moins cher, en moyenne.

Une production ajustée à la demande
Pourquoi un niveau aussi astronomique ? Parce que le cahier des charges de l’AOC est exigeant, parce que la taille des vignes est complexe, parce que la vendange se fait manuellement, répond le CICV. Exact, mais incomplet. Le raisin est cher, également, parce que les acteurs de la filière s’entendent pour qu’il le soit. Il n’y a pas de fixation officielle des prix, ce serait contraire au droit de la concurrence. Il y a une fourchette étroite de référence, dans laquelle tout le monde se tient, comme par miracle.

Le raisin en lui-même n’est pas rare. L’interprofession fixe une limite de récolte à l’hectare pour les vendanges. En 2015, elle était de 10 500 kg/ha commercialisables. Pourquoi ce chiffre ? Parce que c’est ce qu’il faut pour élaborer 307 millions de bouteilles, niveau de la demande mondiale évaluée par le CICV. Les vignerons ont le droit de vendanger 3 100 kg/ha supplémentaires destinés à alimenter les réserves. Il s’agit de limite de récolte, et non de rendement. Une fois rempli ces deux quotas (10 500 kg/ha et 3 100 kg/ha), le raisin, dans le cas, fréquent, où il en reste, part à la distillerie et devient de l’alcool industriel ou du carburant. Rouler au champagne, c’est chic et c’est cher. Vu le prix de référence de la matière première, c’est sans doute le plein le plus coûteux du monde.

Le raisin de Champagne, par ailleurs, n’a pas de qualité intrinsèque qui justifierait de le payer cinq fois plus cher que celui du Languedoc ou de l’Alsace. Au contraire. Comme l’explique un propriétaire récoltant sur son site, « la région Champagne, de par sa position septentrionale, ne bénéficie pas de suffisamment de soleil en fin de saison » et donnerait spontanément un breuvage dépassant rarement 10,5°. Cela conduit les vignerons à chaptaliser, c’est-à-dire à ajouter du sucre au moût de raisin. Ils ont droit de le faire à hauteur de 3,5 % du « titre alcoolique probable » (le niveau d’alcool évalué avant fermentation), ce qui est beaucoup. La limite de chaptalisation est inférieure dans la plupart des autres vignobles.

En octobre 2015, les vendanges se sont révélées excellentes. La revue professionnelle La Champagne viticole, alors en reportage chez un vigneron des coteaux sud d’Épernay, notait avec satisfaction que le producteur n’aurait « guère recours à la production des betteraviers de la région ». « On va laisser les sacs de côté », commentait l’intéressé. Comprendre, les sacs de sucre de betteraves. Quand Moët & Chandon choisit Scarlett Johansson comme égérie pour son brut, la belle plante en cache une autre.

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