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Le rapport à l’argent reste-t-il genré ?

Bien que les inégalités salariales tendent à se réduire, l’écart de revenus entre hommes et femmes s’est creusé ces dernières années. Il apparaît que dans le couple, les non-dits perpétuent les déséquilibres. Explications.
Depuis les années 1950, la cellule familiale a beaucoup évolué et le modèle dit « traditionnel » – un couple uni pour la vie avec plusieurs enfants – ne constitue désormais plus la norme. En France, le système facilite le travail des femmes lorsqu’elles sont mères. Cet accès à l’emploi leur a également donné une indépendance financière. Dans ce domaine, d’après l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), les Françaises sont pionnières en Europe, avec un taux d’activité de 70,7 % en 2022 contre 54,5 % en 1975.

Malgré ces changements, la famille reste le creuset des inégalités en matière financière et patrimoniale. Les analystes relèvent ainsi que dès qu’une femme se met en couple, ses finances en pâtissent. « L’écart de revenus moyens entre hommes et femmes est de 25 %. Si vous êtes célibataire, il est de 9 % entre hommes et femmes. En revanche, au sein du couple hétérosexuel, [il] grimpe à 42 % », rapporte Sibylle Gollac, sociologue et chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) (1).

Pire encore, ces 20 dernières années, le patrimoine moyen des hommes a augmenté plus rapidement que celui des femmes. « En 1998, la différence entre les deux s’élevait à 9 %, et elle a atteint 16 % en 2015 », remarque Marion Leturcq, démographe et chercheuse à l’Institut national d’études démographiques (Ined). « Avec Nicolas Frémeaux, mon coauteur, nous nous attendions à des écarts de patrimoine, mais nous n’avions pas anticipé une telle hausse », explique-t-elle. Un résultat d’autant plus étrange que sur beaucoup d’autres points (salaires, pensions de retraite, occupation de postes à responsabilité, création d’entreprises…), le fossé entre les deux sexes se comble, notamment chez les jeunes générations.

Dès lors, une question se pose : les hommes s’enrichissent-ils davantage que les femmes parce qu’ils savent mieux investir ou parce que ces dernières s’intéressent moins aux questions financières et patrimoniales ? Bref, l’argent est-il « genré » et, si tel est le cas, est-ce dû à l’éducation ou à la société ?

Factures • Le couple, terreau des inégalités
Dans le système capitaliste, la richesse d’une personne provient du capital accumulé. « Il peut être décomposé en trois parties : l’épargne engrangée durant l’existence, les biens reçus par transmission et le rendement des investissements », liste Marion Leturcq. Commençons par l’épargne. La plupart du temps, on se constitue un pécule grâce à son salaire. Or, en moyenne, à qualification égale, les hommes sont mieux rémunérés que les femmes, bien que cette inégalité tende à se réduire. Selon l’Insee, en 2019, les actifs de moins de 25 ans touchaient 19,2 % de plus que les actives. Cela monte à 27,2 % pour les 55 ans et plus. Les ménages tiennent pourtant rarement compte de ce constat chiffré au moment de fixer le partage des dépenses au sein du couple. En effet, peu d’entre eux réfléchissent à la répartition des factures, prises en charge par l’un ou l’autre, et se contentent bien souvent d’un 50/50. Cette attitude a forcément un impact sur le patrimoine de chacun, puisque si celui qui est le moins bien payé contribue autant, voire plus que l’autre, il ne mettra de côté que de faibles sommes.

Afin de rééquilibrer la donne, mieux vaut choisir son type d’union en étant parfaitement conscient de ses implications. Il existe deux familles : les « communautaires » visent à diviser en deux tous les revenus (travail, épargne, patrimoine…), quelle que soit leur provenance, tandis que les « séparatistes » créent une paroi étanche entre ce qui appartient à chacun.

La première catégorie regroupe la communauté réduite aux acquêts (contrat de mariage par défaut) et la communauté universelle ;
la seconde, le mariage en séparation des biens, le pacs (régime classique) et l’union libre.
Très peu utilisée en France, la communauté avec participation aux acquêts fonctionne comme une séparation de biens et se dissout comme une communauté. Sachez que si, avant l’an 2000, la majorité des couples se mariaient sans contrat, les jeunes générations adoptent davantage un régime séparatiste. Or, en matière de patrimoine, ce choix protège moins le conjoint qui s’arrête de travailler ou s’engage sur un temps partiel pour se consacrer davantage aux enfants. Il ne profitera pas, en effet, de l’enrichissement du foyer, comme c’est le cas avec un régime communautaire.

Notre conseil
Si vous êtes en couple, confrontez votre philosophie sur l’argent : chacun pour soi, tout en commun ou partage des dépenses au prorata des revenus. Vérifiez qu’elle correspond à votre type d’union. À défaut, adaptez-la. Ensuite, faites le point sur vos finances communes au moins une fois par an (au moment de déclarer vos impôts, par exemple), fixez des objectifs d’épargne personnelle et tenez-vous y.

Un conseil qui permet de diminuer les inégalités : celui qui a la plus faible capacité d’épargne doit d’abord la consacrer aux gros achats (véhicule…) et aux investissements plus risqués, donc plus rentables (actions…). Il disposera ainsi d’un capital plus important que s’il dépense ses sous pour assurer le quotidien ou le place sur des livrets mal rémunérés.

Succession • Différences de traitement familial
Si votre père et votre mère disposent d’un patrimoine, une partie vous reviendra à leur décès. Là encore, même si le Code civil réserve un minimum identique à chaque descendant, on observe bien souvent des inégalités à cause de la « comptabilité inversée », mise en lumière par Céline Bessière et Sibylle Gollac (1). Ces sociologues ont constaté que les parents allouaient traditionnellement les biens « structurants » (maison de famille, entreprise…), aux fils, notamment aînés, les autres enfants recevant des valeurs équivalentes en numéraire.

Le partage de la succession se fait donc à l’envers : l’attribution du bien le plus important est décidée en amont, puis la distribution du reste – pour que l’ensemble demeure équitable – est établie ensuite. Comme il est difficile d’estimer avec précision le prix d’une société ou d’une belle demeure, ce montant est fréquemment minoré. « Cela permet aussi de payer moins d’impôts sur les successions, un argument de poids pour tous les héritiers », confie un avocat fiscaliste. Conséquence ? Même si, en apparence, l’égalité semble parfaite, en réalité, l’iniquité règne, les sommes réglées aux autres légataires s’avérant souvent inférieures à ce que vaut le bien structurant. Les deux chercheuses ont également dévoilé une autre différence en matière de transmission. Elles ont mesuré que les garçons bénéficiaient plus souvent que les filles de donations anticipées, ce qui joue en faveur du patrimoine masculin. Car quand on investit plus jeune, l’horizon de placement est plus long et les perspectives de rendement se révèlent supérieures.

Notre conseil
Il est difficile de lutter contre des « traditions » bien ancrées. Néanmoins, dans le cas où vous avez plusieurs enfants, réfléchissez à la transmission de votre patrimoine en amont. Ensuite, communiquez avec eux, car même si vous aurez toujours le dernier mot, vous saurez qui souhaite récupérer la maison de famille et qui préfère recevoir de l’argent pour financer un projet.

Placements • Frilosité « psychologique »
Au sein du couple, même si chacun dispose de ses propres économies, les investissements se pensent en général à deux. La plupart du temps, l’un préférera des solutions sûres tels que les livrets, socle d’une épargne diversifiée, alors que l’autre privilégiera des supports plus risqués mais plus rentables (assurance vie en unités de compte, plan d’épargne en actions…). Ici aussi, les choix diffèrent selon le genre, comme le prouve le baromètre de mars 2023 de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Il établit que les femmes se montrent moins optimistes sur l’évolution de leur situation économique et financière individuelle que les hommes. Elles sont donc moins nombreuses à opter pour des produits non garantis, et « s’intéressent moins aux placements en actions qu’elles considèrent, plus souvent qu’[eux], comme trop risqués ». La conséquence ? Leur capital progresse, en moyenne, moins vite que celui de la gent masculine.

Déterminer les points de blocage
Pour lutter contre cet état de fait, des institutions financières essaient de désacraliser l’univers des placements. Le Crédit municipal de Paris fait figure de pionnier en la matière. En 2019, il a lancé un service de coaching financier gratuit et accessible à tous. « Notre établissement accorde des prêts sur gage et octroie du microcrédit, explique Nadia Chekkouri, sa directrice adjointe inclusion et culture financière. En examinant certains dossiers, nous nous sommes rendu compte qu’il convenait en premier lieu, pour financer un projet, de cerner les profils de nos clients afin de les conseiller au mieux. » Concrètement, cette offre de coaching consiste en un accompagnement personnalisé assorti de séances de groupe permettant notamment aux femmes d’envisager sous un autre jour les questions financières.

« Avant de trouver des solutions techniques de crédit ou de se lancer sur un placement en particulier, chacun doit prendre conscience de trois points essentiels », note Nadia Chekkouri. D’abord, il est impératif de définir son rapport à l’argent et ses agissements en la matière. Imaginons qu’un individu exerce un travail très rémunérateur ; il dispose alors a priori d’une forte capacité d’épargne… sauf si gagner énormément ne correspond pas à ses valeurs. « Ce type de profil peut avoir tendance à beaucoup dépenser afin de compenser une frustration », analyse Nadia Chekkouri.

Ensuite, dans le cas où l’on est en couple, il faut absolument intégrer l’autre dans son équation personnelle. Contrairement à une idée romantique largement répandue, parler d’argent à deux n’est pas un tue-l’amour ! Par contre, adopter la politique de l’autruche se révèle presque toujours problématique. « Lorsque les finances de la famille n’ont pas été clarifiées dès le départ, à la première dispute, même si elle porte sur un autre sujet, les questions pécuniaires reviendront sur le tapis et concentreront les griefs », affirme l’experte.

Enfin, on est obligé de tenir compte de son éducation aussi bien que de son « héritage » psychologique. De fait, une personne ayant un grand-père qui a fait faillite et ruiné la génération de ses parents hésitera sans doute à créer sa propre affaire, de crainte d’échouer aussi. Et une autre qui a entendu ses parents lui dire, durant toute sa jeunesse, qu’elle était dépensière, se conformera probablement à ce schéma une fois devenue adulte… sauf que sa capacité financière sera démultipliée par rapport à celle dont elle disposait enfant, à l’époque où ses seuls revenus étaient de l’argent de poche.

Bref, faire une introspection est nécessaire pour repérer ses points de blocage, comprendre ses réactions et évoluer. Dis-moi comment tu épargnes, je te dirai qui tu es, ou à peu près ! On pourra ensuite constituer sereinement son patrimoine familial avec un objectif : minorer les inégalités de richesse entre sa moitié et soi. Pour cela, il ne faudra pas diminuer les avoirs de celui qui est le mieux loti, mais plutôt augmenter sensiblement ceux de l’autre. Cette stratégie profitera aux deux, puisqu’au bout du compte, le couple – donc la famille – s’enrichira.

Notre conseil
En couple, prenez toujours les décisions financières (montant d’épargne de chacun, type de placement…) et patrimoniales (achat de la résidence principale, prise d’un crédit…) à deux. Si déléguer la gestion de votre patrimoine à votre moitié peut sembler la solution de facilité quand vous n’aimez pas aborder les questions d’argent, tâchez toutefois de ne pas vous en désintéresser totalement. Ensemble, faites le point une fois par an sur l’évolution de vos avoirs, et rectifiez le tir si besoin. Fixez des règles strictes (souscription à des placements individuels ou communs, à des investissements risqués sur la tête de l’un ou des deux…), posez des questions dès lors que des produits vous apparaissent opaques et opposez-vous à certains choix si vous ne les comprenez pas.

5 conseils pour apprivoiser les questions financières
1. N’ayez pas peur
Ne craignez jamais d’être illégitime en matière de finance. Même si vous êtes néophyte, n’hésitez pas à poser des questions afin de comprendre comment fonctionnent les supports que l’on vous propose. Sinon, vos économies végéteront sur un produit ne rapportant rien, ou vous souscrirez des placements médiocres pour « faire plaisir » à votre banquier.

2. Informez-vous
Des sites à la fois désintéressés et pédagogiques (Abe-infoservice.fr, Mesquestionsdargent.fr, Lafinancepourtous.com) publient des informations sûres et claires. Consultez-les, ils vous permettront de vous former et de vous informer. Restera ensuite à appliquer les connaissances acquises pour placer judicieusement votre épargne.

3. Instaurez des règles évolutives
Fixez-vous des objectifs (achat d’un logement, retraite complémentaire…) et investissez en conséquence. En couple, révisez la répartition des dépenses communes au fil des ans.

4. Modifiez vos objectifs
Votre situation évolue (premier emploi, mariage, naissance des enfants…) ? Adaptez alors votre patrimoine en conséquence. Identifiez vos besoins personnels (poste à mi-temps, retraite à compléter…), mais réfléchissez toujours à deux avant d’investir.

5. Parlez d’argent
Même si chacun gère ses sous comme il l’entend, parlez d’argent dans votre couple. Car en cas d’accident de la vie (séparation, veuvage…) ou de retournement de conjoncture (krach, crise immobilière…), les choix personnels peuvent fragiliser l’équilibre financier de toute la famille.
(1) Le genre du capital : comment la famille reproduit les inégalités, de Céline Bessière et Sibylle Golac, éditions La Découverte.

cf : quechoisir.org

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