Divers Santé-Bien être

Bébés et femmes enceintes, premières victimes des produits chimiques toxiques

Le bisphénol A est désormais interdit en France dans les biberons et les contenants alimentaires.

PCB, PBB, PFOA, dioxine, phtalates… Derrière ces acronymes et noms barbares se cachent des produits, pour certains toxiques, auxquels sont quotidiennement exposés femmes enceintes, enfants à naître et nouveau-nés.
La contamination chimique de ces populations les plus vulnérables était l’objet d’un colloque organisé, jeudi 9 juin, par l’association Women in Europe for a Common Future (WECF), afin d’améliorer la prévention.

« La réglementation actuelle ne permet pas de protéger la population, car elle se base sur les règles de la toxicologie classique, qui dit que la dose fait le poison. Or, les perturbateurs endocriniens peuvent avoir des effets à des doses infinitésimales. Ce qui compte, c’est la fenêtre d’exposition », a souligné le député Jean-Louis Roumégas (Europe Ecologie-Les Verts, Hérault).

Le fœtus, surtout, est à une étape de développement « très puissante, pendant laquelle une exposition chimique pourra affecter, pour toute sa vie, le bébé, l’enfant et l’adulte qu’il deviendra, ainsi que les enfants qu’il aura », a également relevé Patrice Sutton, du programme de santé reproductive et de l’environnement à l’université de Californie.

Si l’approche par « dose » apparaît donc inadaptée à ces substances – actuellement limitées à des « doses journalières acceptables », en dessous desquelles il n’y aurait pas de risque pour la santé –, celle qui consiste à tester leur nocivité « substance par substance » le serait tout autant, d’après Ibrahim Chahoud, de l’Institut de pharmacologie clinique et de toxicologie de Berlin. Car nous sommes, en réalité, constamment exposés à une multitude de substances chimiques. Des « cocktails » qui, eux, ne sont pas réglementés, et dont « la science ne peut pas vraiment tester les effets », a-t-il expliqué.
Une exposition imparable
Avec quelque 70 000 à 100 000 produits chimiques dans le commerce international, dont 4 800 en volumes importants, cette exposition multiple est pourtant imparable, estime Jeanne Conry, de la Fédération internationale de gynécologie obstétrique (FIGO).

« Aux Etats-Unis, chaque femme enceinte a au moins 43 produits chimiques exogènes toxiques dans son corps : du mercure, du plomb, du bisphénol A, du perchlorate… », a-t-elle rapporté. La FIGO a d’ailleurs lancé un appel, en octobre 2015, pour alerter sur cette exposition au cours de la grossesse et de l’allaitement, qui « représente une menace pour la reproduction humaine ».

Prenons par exemple les filtres anti-UV, présents, entre autres, dans les crèmes solaires. Selon Anna-Maria Andersson, du département de santé reproductive au Rigshospitalet de Copenhague, au moins trois de ces produits autorisés dans les cosmétiques par l’Union européenne (UE) sont de potentiels perturbateurs endocriniens. Et notamment l’un des plus communs : le benzophenone 3. On le retrouve dans 90 % des urines testées au Danemark – et plus encore parmi les enfants allant à la crèche.

Recrudescence des cancers
Or, toujours selon Anna-Maria Andersson, des études sur des rats ont montré que cette substance, à des doses moyennes, peut avoir des conséquences : elle entraîne une réduction des spermatocytes ; une augmentation des cellules apoptopiques (qui s’autodétruisent) ; une baisse du niveau de testostérone ; ou encore une diminution dans les ovaires des follicules antraux (stade dans le développement du follicule ovarien).

Recrudescence des cancers des testicules, des cancers du sein, des hypospadias (malformation de l’urètre chez le fœtus masculin), chute de la fertilité, épidémie de diabète, d’asthme, d’obésité… « Pourquoi ces maladies ont-elles tant évolué ces quarante dernières années, dans un laps de temps trop court pour qu’il y ait eu une évolution génétique ?, a interrogé Jeanne Conry. C’est l’environnement qui a joué un rôle. »

Les facteurs environnementaux sont aussi soupçonnés pour l’endométriose – un trouble de la muqueuse utérine, invalidant et source d’infertilité, qui touche environ 10 % des femmes. « C’est une catastrophe, et on n’en connaît pas les mécanismes. L’exposition à la dioxine, aux phtalates ou encore aux pesticides sont des hypothèses », a affirmé Philippe Descamps, représentant la France auprès de la FIGO.

Plus de prévention et de réglementation
Face à ces constats alarmants, le personnel de santé paraît désemparé. « On parle de drogue, d’alcool et de tabac aux femmes enceintes, mais on n’a pas de discussion avec nos patients sur les produits chimiques », note Jeanne Conry. Tout autant que les obstétriciens, les sages-femmes manquent d’information sur ces sujets.

Chez les généralistes aussi, « on est surpris de la grande demande de formation des médecins », a témoigné le docteur Nicolle, de l’association Alertes médecins pesticides, qui a lancé, le 12 mai, une campagne pour aider les docteurs à conseiller les femmes enceintes et les parents sur les contaminations chimiques.

Au niveau national, une stratégie sur les perturbateurs endocriniens a été lancée en avril 2014, a rappelé la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, en ouverture du colloque. Pour certaines substances, la réglementation avance doucement : interdiction du bisphénol A (BPA) dans les biberons, dans les contenants alimentaires… Et prochainement, une initiative de la France pour « déposer un dossier d’identification du BPA en tant que substance “extrêmement préoccupante” devant l’Agence européenne des produits chimiques [ECHA] », a annoncé la ministre.

Pour d’autres toutefois, le cheminement législatif reste laborieux. Le Sénat a reculé, en mai, sur l’interdiction des pesticides néonicotinoïdes. Quant à la Commission européenne, elle a été condamnée, en décembre 2015, pour ne pas avoir déterminé dans les temps impartis les critères scientifiques qui caractérisent les perturbateurs endocriniens. L’UE n’a toujours pas adopté de définition officielle de ces substances – un enjeu majeur pour leur future réglementation.

LE MONDE | 11.06.2016 à 15h21 • Mis à jour le 12.06.2016 à 07h41 | Par Angela Bolis

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